Contre Sainte-Beave
Il n’y pas de meilleure manière d’arriver à prendre
conscience de ce qu’on sent sou-même que d’essayer
de recréer en soi ce qu’a senti un maître. Dans cet effort
profond c’est notre pensée elle-même que nous
mettons, avec la sienne, au jour. Nous sommes libres
dans la vie, mais en ayant des buts. . . . C’est à un
sophisme tout aussi naïf qu’obéissent sans le savoir
les écrivains qui font à tout moment le vide dans leur
esprit, croyant le débarrasser de toute influence extérieure,
pour être bien sûrs de rester personnels. En
réalité les seuls cas où nous disposons vraiment de
toute notre puissance d’esprit sont ceux où nous ne
croyons pas faire oeuvre d’indépendance, où nous ne
choisissons pas arbitrairement le but de notre effort.
. . . Le sujet de romancier, la vision du poète,
la vérité du philosophe s’imposent à eux d’une façon
presque nécessaire, extérieure pour ainsi dire à leur
pensée. Et c’est en soumettant son esprit à rendre
cette vision, à approcher de cette vérité, que l’artiste
devient vraiment lui-même.
Contre Sainte-Beuve p 140
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